La pérennisation du statut de joueur professionnel a-t-elle tué la compétition ? Parlons argent !

JHden | 26/06/2019 à 11h30 - 14

J'ai beaucoup parlé de la ligue des Grands Maîtres dernièrement et de tout ce qui pouvait l'entourer, mais je n'ai encore jamais abordé ce qu'elle a apporté : il existe enfin un vrai statut de joueur professionnel dans Hearthstone.

Des joueurs ont largement gagné leur vie en jouant auparavant, et les gains de tournoi cumulés au salaire de leur équipe sont plus que suffisants. Cependant, avec l'arrivée de la ligue, Blizzard s'investit dans le fait de professionnaliser les joueurs, puisque chaque match rapporte 500$ à chaque joueur, et 500$ de plus pour le vainqueur (donc entre 4000 et 8000$ par mois puisque l'on joue 2 matchs par semaine).

Et le plan de cette mesure était double pour l'éditeur. D'abord, récompenser les joueurs qui ont fait du jeu ce qu'il est aujourd'hui et pouvoir proposer un programme compétitif chaque semaine qui permettrait d'entretenir l'image du jeu sur le long terme, à l'image de ce qui se fait sur Overwatch.

Mais l'autre partie du plan, et celle qui nous fera beaucoup débattre cette semaine, c'est le fait de donner un objectif clair à tous les joueurs qui n'ont pas été admis dans la ligue : tout faire pour s'y qualifier et enfin réaliser leur rêve de pouvoir vivre du jeu dans lequel ils ont tant donné.

Sur le principe, le plan semblait très bon et aurait du créer une émulation autour des Master's Tours, qui sont les tournois où il y a le plus à gagner pour ceux qui veulent intégrer la ligue des maîtres. Cependant, les retours sont tout autre et de plus en plus de joueurs admettent considérer d'abandonner la compétition ou réduire leur temps de jeu dans ce niveau système.

Alors, comment donner un système censé permettre de se considérer comme un joueur professionnel a poussé les joueurs a vouloir être moins compétitifs ?


Un rêve inatteignable

Lorsque l'annonce des Grands Maîtres a été faite, il a été dit qu'à la fin de chaque saison, deux joueurs sortiraient de la ligue et deux nouveaux les remplaceraient dans chaque région. Ainsi, 6 joueurs auraient leur chance d'intégrer ce système. Au moment de cette annonce, nous ne connaissions pas encore les 48 joueurs choisis (même si au moins 40 pouvaient se deviner sans trop forcer si on connait bien scène professionnelle) ni les conditions d'admission précises.

C'est une fois les joueurs révélés et les critères de choix connus que les premières polémiques ont surgis avec notamment des joueurs qui avaient annoncé ne plus vouloir jouer au jeu (et qui avait fait la pub d'autres jeux) être sélectionnés. Ou d'autres joueurs émergents qui n'avaient pas été sélectionnés au profits de joueurs plus connus des communautés même si beaucoup moins compétitifs.  

Cette polémique a été de très courte durée pour laisser place à celle qui nous intéresse maintenant : le contrôle que les joueurs ont vraiment sur leur capacité à être l'un de ces deux joueurs.

Les critères de sélection des 48 et ceux pour faire partie des deux joueurs ne sont pas exactement les mêmes. Si les 48 pouvaient être choisis pour leur palmarès, leur apport à la communauté ou leur gains sur l'ensemble de l'histoire du jeu (par exemple, Pavel n'a presque pas joué en 2018 et a été inclus dans la ligue), les deux nouveaux ne seront jugés que sur leurs gains de l'année 2019, perdant ainsi le bonus d'ancienneté pour ceux qui auraient eu une période sous la lumière. Ce qui sur le papier n'est pas forcément un problème, les gains sur l'année sont en rapport direct avec la performance du joueur, ainsi ceux qui gagnent le plus d'argent sont surement ceux qui ont le plus gagné de matchs sur l'année.

Sauf qu'il y a trois tournois dans l'année qui ont plus de valeur que tous les autres tournois, et qui font que l'argument de lier régularité de la performance sur l'année et gains monétaires est beaucoup plus volatil.

Il est évident que ces tournois étant intégré à un circuit, qu'il faut se qualifier pour les atteindre et qu'ils rassemblent les meilleurs joueurs leur donne beaucoup plus de valeur qu'à la Dreamhack française par exemple. Mais la différence dans les prix fait qu'une performance sur ces tournois là vaut plus que 5 ou 6 victoires d'un autre tournoi (quand je dis performance, un top 8 à Vegas valait entre 10 000$ et 16 000$, Trec a remporté 2400 euros en gagnant la Dreamhack France) et donc fait de la course aux Grands Maîtres un moment précis et figé plus qu'une récompense de la régularité sur l'année.

Lorsque l'on a cette image du circuit pour l'année, on se retrouve avec deux problèmes qui font que les joueurs abandonnent petit à petit. Le premier problème est le fait que pour se qualifier et se rendre à ces tournois, tous les joueurs ne sont pas logés à la même enseigne. Le processus de qualification est très long et demande ainsi un investissement total de la part des joueurs qui souhaite se lancer. Dans un sens, le but ultime est d'atteindre la ligue des grands maîtres et en faire son métier, donc autant le considérer comme tel dès le départ. Sauf que pour tous les joueurs qui suivront cette logique, ils vont devoir soit gagner un tournoi très vite pour avoir des ressources, soit trouver un moyen de vivre en faisant les open cups tous les jours, ce qui n'est pas compatible avec le fait d'avoir un autre métier.

Si je prends mon exemple, Hearthstone est mon métier depuis 4 ans maintenant, et pourtant, je me suis très vite rendu compte que si je voulais faire des opens cups de façon sérieuse, je devais sacrifier le coaching ou la préparation des tournois autour du circuit officiel, ou les projets autres avec Wolwi... Et cela peut s'appliquer à énormément de joueurs qui évoluent dans l'écosystème du jeu mais qui ne prendront jamais part à ces compétitions ou dans des proportions minimes qui vont demander une bonne dose de chance pour se qualifier.

Même si ces joueurs se qualifient, il faut ensuite trouver les fonds pour aller sur le lieu du tournoi et pour le logement qui ne sont pas pris en compte. À Las Vegas, le tournoi a vu presque 20% des joueurs prévus ne pas se déplacer à l'événement et qui ont donc perdu purement et simplement tout le temps investi pour obtenir leur ticket d'entrée au tournoi.

Le second problème, et qui est à mon sens plus grave que le premier, est le fait que le format compétitif actuel est le plus aléatoire que l'on ai eu depuis les débuts du jeu. Le format spécialiste n'est pas particulièrement dérangeant dans ce sens, encore qu'il encourage à prendre les meilleures classes, et donc provoque plus de matchs miroirs qui sont actuellement dans le jeu, tous assez volatiles et basés sur la pioche de cartes précises. Mais en revanche, le fait que ce format encourage le BO3 est un vrai problème. 

Pour les qualifications, pas de problèmes, c'est impossible d'envisager de faire encore plus long. Mais pour le tournoi qui va décider d'énormément de choses sur l'ensemble de l'année, n'est-il pas possible de réduire la variance et de ne pas se cantonner à du BO3 qui peut basculer très rapidement (une bonne sortie d'un coté et on a déjà 50% de la victoire).

Lorsque l'on mélange toutes les raisons ensemble, on peut comprendre l'argument des joueurs qui ne voient pas l'intérêt de tout sacrifier pour se qualifier, pour ensuite aller jouer leur avenir sur des matchs en BO3 d'un format qui est considéré comme le plus rébarbatif de tous ceux connus actuellement. Et au final, on se rend compte que l'on ne maîtrise pas assez d'éléments pour pouvoir se lancer sereinement dans une aventure qui pourrait nous coûter beaucoup plus que nous rapporter.


Les Grands Maîtres ont la belle vie

Si d'un côté, ceux qui n'ont pas été admis dans la ligue doivent se battre pour tenter d'y accéder, ceux qui en revanche y ont été invité sont chouchoutés, pour ne pas dire plus. S'il est totalement normal de choisir les meilleurs joueurs et les plus populaires pour cette ligue, dans le but d'attirer les viewers, Blizzard a également voulu garantir à ces joueurs qu'ils pourraient se concentrer à 100% sur la ligue. Les joueurs gagnent ainsi 500$ par match (soit 1000$ minimum par semaine) et 500$ de plus pour une victoire (soit 2000$ maximum par semaine).

Dans la ligue, on peut classer les joueurs en trois grandes catégories : les compétiteurs, les streamers et les retraités. Les compétiteurs, comme par exemple hunterace, bunnyhoppor ou amnesiac dans la zone américaine sont des joueurs qui ont toujours cherché à être les meilleurs et qui sont connus presque exclusivement pour leurs faits d'arme en tournois. Ils n'ont pas d'activité vis à vis du grand public autre que celle de jouer dans la ligue chaque semaine.

Les streamers sont d'excellents joueurs également, mais ils se sont fait connaitre d'un coté pour leur succès au niveau compétitif (cela aide beaucoup pour lancer un stream de prouver sa valeur sur le circuit compétitif), ainsi, à coté de la ligue ils sont obligés de continuer à entretenir ces activités qui demandent énormément de temps et qui peuvent donc gêner la préparation.

Les retraités en revanche, sont des joueurs qui n'avaient plus d'activité depuis plusieurs mois voir même années sur le jeu (pavel ou strifecro par exemple) et qui ont été invités pour leur gloire passée. Bien qu'ayant été des compétiteurs hors pair à leur époque, ils doivent se réinvestir dans le jeu pour être compétitifs dans cette ligue, et ils ont souvent développé d'autres activités depuis.

Sur les trois catégories de joueurs, on peut ainsi voir qu'une seule est vraiment dédiée à la performance au sein de la ligue, et que les autres ont soit des obligations à coté, soit n'ont plus d'actualité récente sur le jeu et pour certains, n'ont pas joué depuis la rotation d'avril au moment du début de la ligue.

L'effet pervers survient cependant lorsqu'on combine le fait que seuls deux joueurs seront retirés de ce système, que cela n'arrive qu'en saison 2 (la saison 1 n'impactera en rien les 48 joueurs admis, quel que soit leur résultat final), et qu'au pire des cas, les joueurs empocheront 8000$ pour les 16 matchs qu'ils joueront (s'ils font donc 0-16, ce qui est déja impossible puisque tout le monde a déjà gagné un match).

Pour des joueurs compétitifs, cela représente une consécration ultime, ils sont enfin payés pour faire ce qu'ils ont voulu depuis toujours, jouer au plus haut niveau et montrer de quoi ils sont capables lorsqu'ils peuvent tout donner à Hearthstone.

Mais dans le cas des deux autres catégories, l'équation est bien différente.

Un streamer dans la ligue aura eu au pire un énorme complément de salaire et une exposition majeure pour son stream, cela sans aucun risque pendant les 3 premiers mois de compétition et avec un risque très minime (2/16) que cela s'arrête lors des 3 mois suivants. Il peut donc continuer ses streams et s’entraîner pour la ligue au cours de ces derniers sans vraiment que cela lui coûte quoi que ce soit.  La ligue n'est qu'un avantage pour cette catégorie, qui n'a donc aucune raison de produire des efforts particuliers par rapport à avant que la ligue soit créée (certains joueurs comme Fenomeno ou Boarcontrol sont des compétiteurs et des streamers, et ne tombent pas forcément dans cette catégorie comme je la décris).

Les retraités en revanche, ont eux touché le jackpot. Ils ont le choix du roi, entre voir la ligue comme un soutien durant le développement de leurs activités qui ne sont pas reliés à Hearthstone, ou revenir à plein temps sur le jeu et tenter de retrouver la gloire du passé. Pour ceux qui hésiteraient, ils peuvent même faire un des deux choix durant la saison 1 sans aucune conséquence et aviser en saison 2 si l'autre option est plus intéressante ou non.

Ainsi, on voit que sur les trois catégories de joueurs, seulement une cherchera à donner son maximum dans tous les cas, et ce sont des joueurs qui le faisait déjà avant la ligue. Pour les autres, ils ont l'opportunité de ne pas la prendre au sérieux et donc de donner une mauvaise image de ce qui est désormais la vitrine d'Hearthstone (3 jours de stream par semaine, et toutes les chaînes majeures le retransmettent dans leur langue. Les plus gros streamers étant dans la ligue, ils ne peuvent pas non plus faire concurrence). Il y ainsi eu par la volonté de donner à ces 48 joueurs la capacité de vivre confortablement de leur passion pour le jeu, une opportunité de plus s'investir dans le jeu, du moins, au moins durant la saison 1.

L'avenir nous dira si Blizzard a eu raison ou non de vouloir copier le modèle de l'Overwatch League et de l'appliquer à Hearthstone. Mais pour l'instant, que l'on prenne le point de vue de ceux qui jouent la ligue des GM ou de ceux qui voudraient y entrer, les raisons de se reposer sont plus nombreuses que de s'investir corps et âme.

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