La carte Yogg-Saron fait-elle plus de mal que de bien à Hearthstone ?

JudgeHype | 05/09/2016 à 16h34 - 78

Den m'a récemment contacté pour me demander s'il pouvait écrire un loooong article sur la carte [carte=945]Yogg-Saron, la fin de l'espoir[/carte]. Il avait envie de se lâcher un peu, d'expliquer pourquoi il estime que la carte est loin d'avoir apporté que de bonnes choses sur Hearthstone. Comme c'est le genre de réflexion que j'apprécie beaucoup de mettre en ligne, surtout quand il y a de bons arguments derrière, je vous propose de lire ses propos, puis d'en débattre dans les commentaires ;)

Discutons de Yogg-Saron

Bonjour, je me présente, je suis den. Je joue à Hearthsone depuis la saison 1, joueur semi-professionnel depuis août 2014 (au sein de l'équipe JudgeHype), coach professionnel depuis décembre 2014 et au niveau international depuis avril 2016. J'ai à mon actif plus de 100 passages légende entre mon compte et les élèves que j'ai accompagnés, suis reconnu pour des guides que j'écris et ait déjà atteint les sommets du ladder à plusieurs reprises.

Et pourtant, il y a aujourd'hui une carte qu'il m'est impossible de comprendre et de contrôler : [carte=945]Yogg-Saron, la fin de l'espoir[/carte] L'article devait à la base s'intituler "Pourquoi Yogg-saron est le pire design de carte de l'histoire des jeux de cartes", mais je n'ai pas assez joué aux autres jeux pour réellement savoir si c'est le cas, et un titre pareil ne mène pas vraiment à une discussion.


Alors pourquoi cet article ?

Tout simplement pour discuter autour de réels arguments de comment cette carte a réussi à devenir un emblème de l'aléatoire dans Hearthstone, en alliant à la fois un potentiel illimité et un aléatoire infini. La puissance de cette carte a été démontrée à plusieurs reprises et nombreux sont les joueurs qui, en interview, demandent ouvertement à Blizzard de s'occuper de cette carte (le dernier exemple étant durant les qualifications américaines ce mois-ci). C'est ainsi indéniablement une des cartes les plus puissantes ainsi que des plus détestées dans la sphère professionnelle.

Je n'ai personnellement que la vue des joueurs très impliqués dans le jeu, gagnant moi-même ma vie grâce au jeu. Ainsi, le but de cet article est de partager ma vision de la carte, mais également de la confronter à la vision d'autres joueurs avec une vision et une implication totalement différente de la mienne sur Hearthstone.

Je me propose donc de lancer la discussion en exposant, d'abord les points positifs de la cartes (oui il y en a), puis les points qui me gênent sur cette dernière (et là encore, il y en a).



Les points positifs

- De nouveaux archétypes basés sur les sorts

En tant qu'amoureux du deckbuilding, la possibilité d'ouvrir le champ à de nouveaux decks me plait particulièrement. Et c'est vrai que Yogg-Saron a permis de changer la manière de construire un deck en mettant à mal l'équilibre créatures-sorts. Il était impensable, avant les dieux Très Anciens, de voir un deck composé de 20 sorts qui n'était pas un deck lent et de combo (on peut penser au mage freeze) et qui n'avait pas réellement besoin de créatures. L'ancien dieu a ainsi permis à des decks de tempos et de curve de naître, et réduisant la quantité nécessaire de créatures dans le deck, mettant l'accent sur des sortilèges qui ne font plus office de soutien mais sont le coeur du deck.

Le druide et le mage en tête de liste, mais dernièrement on a pu voir le guerrier rejoindre le mouvement en créant de nouveaux decks basés sur la synergie des sorts.


- Il augmente la valeur potentielle des sorts de classe

Les sorts ont toujours les cartes auxquelles on pense en second, celles qui viennent selon notre stratégie, qui répondent à une situation. Désormais, on a des situations inverses, plus complexes, dans lesquelles les sorts sont les premiers choisis et c'est aux créatures de se plier aux exigences du deck.


- Donne un coté amusant aux sphères non compétitives du jeu

Malgré tout ce qu'on peut en dire, Yogg-Saron est une carte amusante lorsque l'on est du bon coté de l'aléatoire. Chaque joueur a un jour gloussé en voyant son adversaire perdre la partie face à Yogg-Saron. Et cet aspect est une très bonne chose, lorsqu'il n'y a pas d'enjeu et que l'on est dans une optique d'amusement. Lors d’entraînements contre des équipiers, c'est arrivé d'éclater de rire face à la situation qu'a créé Yogg-Saron.

De plus, les sorts n'étant pas des cartes légendaires, avoir les meilleurs d'entre-eux est beaucoup plus abordable que pour les créatures équivalentes en termes de puissance. Yogg-Saron permet ainsi à des joueurs ne pouvant se permettre d'avoir plusieurs cartes légendaires de créer des decks amusants sans trop investir dans le jeu.


- Il anime les streams

Oui, c'est un réel argument positif, certains streameurs aiment jouer avec l'ancien dieu car cela anime leur stream et amuse les viewers. Il rompt la monotonie des matchs qui s'installe lorsqu'ils jouent le même deck pendant plusieurs heures et donne l'occasion de garder un bon audimat. Et c'est d'autant plus vrai lorsqu'il est joué dans les hautes sphères du ladder où les victoires et les défaites comptent double.


- Il amène cette idée de ne jamais concéder une partie

C'est peut être le meilleur aspect de cette carte, il amène cette idée positive que nous sommes dans un jeu, et que par respect pour l'adversaire, on devrait aller au bout de la partie (ce que personne ne fait, moi le premier). Alors, certes, la façon de faire est très dérivée de l'idée de base, mais cette utopie de toujours tenter jusqu'au bout et que, tant que les possibilités ne sont pas de 0%, le joueur cherchera la solution est plaisante.

Et maintenant, parlons de l'objet de cet article, ce qui rend la carte toxique et qui en fait une erreur de design de la part de Blizzard à mes yeux.


Les points négatifs

- Frustration des joueurs

Très souvent lorsqu'un joueur rigole d'une situation, c'est que son adversaire est dans l'état inverse. Cette carte est probablement la plus grande source de tilt depuis la sortie de l'extension des dieux très anciens. Tous les matchs de tournois qui se sont réglés sur un effet de Yogg-Saron ont provoqué une frustration énorme chez les joueurs, et a poussé beaucoup de joueurs a réduire considérablement leur temps de jeu sur le ladder.

Moi le premier, lorsque j’enchaîne 3 ou 4 Yogg-Saron à la suite, je joue Chaman face pour me détendre et savoir que je vais démolir ces decks là. Et pourtant, je déteste le Chaman face et ses mécaniques réductrices. Lors d'un match où il faut gagner plusieurs rounds, il a été prouvé qu'un joueur qui perdait sur Yogg-Saron lors d'un round était moins concentré sur les rounds suivants.


- Baisse de l'importance du niveau de chaque joueur

Si le premier point était le plus connu, celui-ci est probablement le plus négatif. Yogg-Saron compense les mauvaises décisions des joueurs par sa capacité à réaliser absolument n'importe quel miracle possible avec des sorts.

De plus, il pousse les joueurs à des choix qui sont résoluments mauvais dans l'optique du deck mais qui deviennent corrects afin d'augmenter le potentiel du dieu. Cet aspect est d'autant plus néfaste lorsque ces choix sont réalisés par de très bons joueurs et donc répétés par tous ses fans qui le font sans réellement faire la même analyse que le joueur au moment donné.

Pire encore, il pousse les adversaires à faire également de mauvais choix afin de terminer la partie plus rapidement malgré un avantage normalement irréversible par peur de l'arrivée de Yogg-Saron. Les exemples sont nombreux, il y a les joueurs qui veulent être ultra agressifs avec un deck midrange, ceux qui n'osent plus jouer de créatures en nombre dès le tour 10 malgré le fait que l'adversaire ait utilisé ses ressources.

Cette situation réduit l'importance des mécaniques de base de tout bon joueur et permet à des joueurs de moins bon niveau d'être en compétition avec de bien meilleurs concurrents. Une fois arrivé au tour 10, le match peut chavirer d'un coté ou de l'autre sans réel pouvoir de la part d'un joueur ou de l'autre.


- Baisse du niveau de jeu général

Le niveau est moins important à cause de la carte, mais il est également moins haut de façon général. Certains joueurs font des plays sans se soucier des règles élémentaires des jeux de cartes en termes de gestion de ressources, de prise de risque ou même d'anticipation de l'adversaire car ils savent que même s'ils font une erreur, il y aura papa Saron qui viendra remettre tout ça en ordre. En soi, on peut accepter le fait qu'un joueur réfléchisse comme ça, après tout, ce n'est pas être mauvais que de se dire qu'il y a plus de probabilités que Yogg-Saron soit positif plutôt que négatif.

Ce que je n'accepte pas en revanche, ce sont les joueurs qui malgré des solutions alternatives, choisissent l'option Yogg-Saron en se disant que de toute façon il sera positif. Cela démontre la puissance de la carte et son effet néfaste sur le jeu. La pire situation étant lorsque cette prise de décision "yolo" se développe dans la façon générale de jouer, et que les joueurs se comportent de cette façon quelque soit le deck joué et la situation face à eux.


- Le jeu est pris en otage par une carte.

Si Yogg-Saron a permis l'arrivée de certains deck, il a également réduit le monde compétitif d'Hearthstone à 2 archétypes : Ceux qui jouent Yogg-Saron, et ceux qui ne veulent pas que l'adversaire joue Yogg-Saron. En effet, les decks contrôle ont presque tous disparus du monde compétitifs, ces derniers ne pouvant réellement appliquer leurs stratégie car le dieu très ancien vient en permanence remettre en cause 5 ou 6 tours de contrôle de table et de gestion de ressources. Ainsi, tous les decks ont soit pour but de terminer le match rapidement (Chaman face, Zoo, Guerrier dragon...) ou jouent Yogg-Saron (Druide token, Mage tempo...).

Nous sommes ainsi dans une impasse compétitive où 4 decks explosent les statistiques de présence en tournoi depuis les qualifications de printemps aux championnats du monde. Ces 4 decks étant Guerrier dragon, Zoo, Chaman face (que des decks agressifs donc) et le druide Yogg-Saron (un deck qui est excellent, sauf contre ces 3 là).

Ce sont également ces 3 decks que l'ont retrouve presque exclusivement dans les plus hautes sphères du ladder, et nombre de joueurs expriment le fait qu'il n'ont plus d'intérêt à "tryHard" maintenant que le ladder n'est plus source de points pour les championnats du monde.


- Le pool de carte est cantonnée à ce qui est fort avec ou contre Yogg-Saron.

Cette situation amène un second effet pervers : la quantité de cartes qui sont réellement utilisées. Alors oui, il n'y a jamais eu de réelle période ou la majorité des cartes ont été utilisées, et il y a toujours des différences de puissance. Mais ici, le fait d'être réduit à être dans l'optique agressive ou l'optique des sortilèges a totalement amputé le nombre de cartes utilisées, surtout dans les cartes neutres. Toutes les créatures utilisées ont soit une synergie avec les sortilèges, ou un effet immédiat sur la table dans le but d'être agressif, les cartes de statistiques ou d'effet sur le temps ayant totalement disparu.


- Le body de la carte.

Ici, ce n'est pas un effet pervers de la carte sur le jeu mais de la carte en elle-même. Les sorts se décomposent en plusieurs catégories (dégâts directs, zones, bonus, malus, soins, invocations) qui sont (très) souvent à l'avantage de celui qui les lancent. Par exemple, les zones lancées par Yogg-Saron seront toujours sur le terrain adverse.

Voilà donc mon problème, le fait que Yogg-Saron soit une créature réduit le potentiel de bons sorts pour l'adversaire, en ajoutant une cible du coté de utilisateur pour les bonus, mais également en permettant l'utilisation de sorts comme [carte=359]Ombreflamme[/carte], [carte=101]Charge[/carte], [carte=69]Dissimuler[/carte]...

En voyant l'impact de la carte, celle-ci aurait très bien pu être le premier sort légendaire du jeu, s'intituler "Esprit de Yogg-Saron" et avoir l'effet du dieu. Après tout, c'est une carte créée dans l'idée d'un joueur désespéré qui fait appel à un dieu maléfique. Le ratio de bonnes possibilités face aux mauvaises ne devraient pas avantager un joueur plus que l'autre, étant donné que le match devrait de toute façon être perdu sans cette carte.

Ainsi, au-delà de l'effet de la carte, le fait qu'une créature 7/5 arrive donne un avantage certain au joueur qui l'utilise et réduit très largement la notion de désespoir qui était lié à la carte à la base.


- Yogg-Saron ne répond à aucun concept de base des jeux de cartes.

Les ressources disponibles, les cartes en main, celles dans le deck, le type de deck de l'adversaire ou ce qui a pu être joué auparavant durant le match. Aucun de ces concepts de base de tout jeu de carte n'est respecté. Pire encore, ces concepts peuvent être punis par Yogg-Saron si le match venait à durer trop longtemps.

Le concept même de la carte est le désespoir, un retournement de situation totalement aléatoire, et en soi, il est réussi. Cependant, la carte pose plusieurs questions : pourquoi permet-elle de lancer un sort d'une classe différente de celle que l'on joue ? Pourquoi s'arrête-t-elle à la mort d'un des deux joueurs (l'égalité existe pourtant) ?


- Il réduit l'intérêt des viewers lors des tournois

Pourquoi regarder des parties compétitives lorsque les commentateurs (profesionnels eux aussi) rigolent de ce qu'il se passent à l'écran, que les joueurs en interview parlent de chance et de pile ou face ? Oui, c'est amusant et cela peut redonner un intérêt à un match, mais pas tous les matchs. La carte est devenue trop populaire au niveau compétitif pour amuser l'audimat qui en vient à insulter les joueurs lorsqu'ils gagnent grâce à cette carte. Cela nuit ainsi à la visibilité et à la crédibilité du jeu, mais également aux organisateurs de tournois qui se rémunèrent en grande partie par le nombre de spectateurs.


- Yogg-Saron n'a aucun contre réel dans le jeu

Le jeu Hearthstone est basé sur le fait de faire son tour en fonction de ce que l'on anticipe et qui viendra contrer au mieux ce que l'adversaire pour nous proposer. Il n'existe pas dans le jeu, de tour 9 (ou 10) qui permettent de jouer autour de Yogg-Saron, ou qui feraient dire à notre adversaire que c'est une mauvaise idée de le jouer.

Une seule carte empêche Yogg d'être joué : l'[carte=236]Âme en peine de mana[/carte] qui le ferait alors coûter 11. Mais cela demande un sacrifice de deckbuilding pour une carte précise, signifie que l'on doit garder un tour 2 pour le tour 9 ou 10 (et il faut bien sûr que l'adversaire n'ait que Yogg comme solution). Ah, et aussi que l'[carte=700]Empereur Thaurissan[/carte] n'ait pas touché Yogg-Saron (celui-là aussi...).


Pour terminer...

En conclusion, je pense personnellement que Yogg-Saron n'est pas une carte bénéfique au jeu. Elle permet d'apporter un aspect amusant, mais c'est au détriment de ce qui fait généralement un bon jeu de cartes ainsi que de bons joueurs de cartes. Elle amène une frustration chez les joueurs qui ne sont pas férus d'aléatoire, ceux qui n'aiment pas perdre subitement, ceux qui n'aiment pas les retournements de situation et il y a aussi ceux qui n'aiment pas perdre contre de mauvais joueurs.

Une solution simple serait de retirer la carte du monde compétitif, ou de la changer pour réduire son impact sur un match, par exemple, en empêche Yogg-Saron de finir la partie. Mais de façon générale, il est impensable que la carte la plus aléatoire d'un jeu de carte soit également la plus puissante.

Ce n'est que mon avis et je continue de jouer et de travailler sur Hearthstone tous les jours, mais je suis convaincu que mon expérience vidéo-ludique serait bien meilleure sans cette carte.


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